Comment se prépare-t-on à devenir de bons aînés, ou encore, une fois notre vie achevée, de bons ancêtres? C’est cette question ouverte qui a animé vendredi une passionnante table ronde du 12e Salon du livre des Premières Nations, qui se tient présentement à Québec.
Joséphine Bacon, Jean Sioui et Virginia Pésémapéo Bordeleau, trois artistes autochtones vétérans ayant à cœur le partage des connaissances ancestrales, y sont allés de leurs profondes réflexions pour expliquer leur notion du legs des valeurs aux membres des Premières Nations.
J’ai l’âge d’être une aînée, mais je ne suis pas sûre que j’en suis une
, a lancé, en riant, Joséphine Bacon au début de la table ronde animée par Pierre Picard, chercheur en santé publique à l’Université de Montréal et membre de la Nation wendat.
La poétesse et réalisatrice innue de 76 ans, originaire de Pessamit, a expliqué qu’être un aîné renvoie, selon elle, aux manières de vivre ancestrales qu’elle s’est évertuée tout au long de sa carrière à retranscrire et aux histoires et mythes fondateurs qu’elle a enregistrés.
Je ne peux pas être une aînée comme mes ancêtres l’étaient, parce que je n’ai pas vécu la même chose. Eux autres, ils vivaient encore comme leurs ancêtres.
Ce que j’ai remarqué durant ma vie, c’est qu’être une aînée n’est pas si évident que ça.Une citation de Joséphine Bacon
Pour Virginia Pésémapéo Bordeleau, être une aînée, c’est laisser des traces aux plus jeunes avant de partir de ce monde et devenir une ancêtre. Il faut leur laisser une forme d’héritage, notre conception du monde, qui nous sommes et qui nous étions, afin qu’ils aient une bonne compréhension de leur identité autochtone.
L’auteure et artiste crie de 72 ans a d’ailleurs raconté avoir un jour écrit un recueil de contes pour expliquer à sa petite-fille que signifient les totems ou autres symboles des premiers peuples. Je ne sais pas quel genre d’ancêtre je vais être, mais j’espère l’être dans les souvenirs ou de ce que j’ai pu imprimer dans les esprits de mes descendants.
Un mur contre l’oubli
Le Huron-Wendat de 76 ans Jean Sioui abonde dans le même sens. C’est difficile de s’identifier à ces aînés des origines, leurs pensées et leurs modes de vie avant les bouleversements qui suivront l’arrivée des Européens en terre d’Amérique, souligne-t-il. Je ne prétends pas avoir la sagesse de mes ancêtres. J’ai vécu dans une période où les Premières Nations ont dû se battre pour garder une certaine identité autochtone.
Dans un monde en perpétuel changement, le poète et cofondateur de la maison d’édition Hannenorak, avec son fils Daniel Sioui, a parlé de l’importance de laisser des souvenirs aux plus jeunes pour ne pas faire de la place à l’oubli. Tout change si vite! Je le vois à Wendake d’où je suis originaire. L’endroit est tellement devenu différent de quand j’étais plus jeune.
Les Autochtones s’inquiètent qu’il n’y ait plus d’ancêtres, que tout va disparaître. Je suis persuadé, au contraire, que chaque membre des Premières Nations possède un gène spécial qui entre dans notre âme dès notre naissance, perpétuant notre vécu.Une citation de Jean Sioui
Au fond, tout est question de transmission, a indiqué Joséphine Bacon, qui précise que les liens ont été brisés pour beaucoup d’Autochtones envoyés de force dans les pensionnats. J’ai réussi à préserver la transmission parce que je suis allée à la rencontre des anciens pour écouter et retranscrire les récits de mon peuple. C’est ça que je raconte aujourd’hui.
En partageant à son tour ce que les aînés innus lui ont raconté tout au long de sa carrière de réalisatrice, notamment avec le magnifique Ameshkuatan, documentaire réalisé en 1978, la poétesse a œuvré pour la préservation de l’identité autochtone.
Beaucoup d’anciens savaient qu’en partageant leur vécu, j’allais ensuite le partager aux autres. Certains me disaient que c’est en racontant leur vécu qu’ils demeureraient vivants.
À ce titre, le rôle des artistes comme créateurs de ponts culturels
au sein des communautés autochtones est primordial, a ajouté Virginia Pésémapéo Bordeleau. Elle a mentionné, entre autres, que le partage du savoir se fait d’une autre manière aujourd’hui chez les Premières Nations avec l’écriture ou les rencontres dans les écoles. Je prends mon rôle de grand-mère quand je rencontre les élèves, qu’ils soient Autochtones ou pas.
Peut-être qu’on est devenus des aînés d’un nouveau genre
, a rétorqué Joséphine Bacon, qui a dit se nourrir des savoirs des anciens afin de témoigner des traditions ancestrales. Je pense qu’être un aîné n’a rien avoir avec l’âge, mais plutôt avec la sagesse.
Le Salon du livre des Premières Nations se poursuit jusqu’au 19 novembre, à Québec.
Ismaël Houdassine