L’immigration est-elle la vraie solution à la pénurie de main-d’œuvre?

Accueillir plus d’immigrants chez nous, est-ce une bonne solution pour atténuer la pénurie de main-d’œuvre? Les économistes ne s’entendent pas et les politiciens tendent à choisir les études qui font leur affaire. Décryptage.

Tout d’abord, Statistique Canada écrivait en 2022 que la population canadienne en âge de travailler (de 15 à 64 ans) n’a jamais été aussi âgée. Plus d’un Canadien sur cinq en âge de travailler approche de l’âge de la retraite. La proportion de personnes en âge de travailler est appelée à baisser d’ici 30 ans au pays. Il faudra donc trouver des travailleurs. Premier constat.

L’immigration joue un rôle déterminant dans l’offre de main-d’œuvre au Canada depuis de nombreuses années, écrit Statistique Canada. Au cours des années 2010, plus des quatre cinquièmes de la croissance de la population active du Canada provenaient de l’immigration. Soyons précis : une portion de 84 % de cette croissance est venue des immigrants.

C’est le deuxième constat qui nous amène tout de suite à une conclusion très simple : nous n’avons pas le choix de compter sur les immigrants pour maintenir une population active croissante afin de financer nos services publics, dont les pressions financières ne font que s’accentuer avec le vieillissement de la population. C’est mathématique.

Statistique Canada ajoute ceci : Des augmentations modestes, mais soutenues, des niveaux d’immigration ne compenseront pas entièrement les effets à long terme du vieillissement de la population, mais elles sont essentielles pour atténuer les effets du vieillissement sur le marché du travail au fil du temps.

Cette analyse factuelle de Statistique Canada nous fait donc comprendre que l’immigration est une solution à la pénurie de main-d’œuvre mais qu’il ne s’agit certainement pas de la seule. Ce n’est pas une recette miracle, mais cela fait partie du coffre à outils.

L’analyse de Pierre Fortin

Si l’immigration est nécessaire pour maintenir notre population active, peut-on la considérer comme étant essentielle pour atténuer la pénurie de main-d’œuvre?

Dans un texte publié dans le magazine L’actualité en août 2022, l’économiste Pierre Fortin affirmait qu’il n’y a pas de preuve scientifique qui démontre qu’une hausse de l’immigration au pays contribuerait à régler le problème du manque de travailleurs. Celles et ceux qui défendent cette thèse oublient, disait-il, de tenir compte du fait que les revenus supplémentaires encaissés et dépensés par les nouveaux arrivants finissent par faire augmenter la demande de main-d’œuvre autant que l’offre de main-d’œuvre, de sorte que l’effet net sur la rareté de la main-d’œuvre dans l’économie globale est à peu près nul.

Pierre Fortin affirmait que les statistiques récentes étaient claires. De 2015 à 2019, par exemple, le solde migratoire total du Québec, qui prend en compte l’addition annuelle nette de tous les immigrants permanents et temporaires, a quadruplé, passant de 24 800 à 93 500 personnes. Mais plutôt que de diminuer, le taux de postes vacants a doublé au Québec pendant ce temps, passant de 1,8 % de postes disponibles en 2015 à 3,5 % en 2019.

C’est vrai. Mais avec des niveaux d’immigration plus élevés, le taux de postes vacants aurait-il augmenté moins rapidement?

Des finances publiques sous pression

Selon Desjardins, il faut augmenter le nombre d’immigrants accueillis pour combler les besoins du marché du travail. Dans une note publiée le 17 juillet dernier, l’économiste Randall Bartlett écrivait que l’immigration est essentielle à la réussite économique à long terme du Canada. Les travailleurs nés à l’étranger aident à répondre aux besoins du marché du travail à court terme, lesquels sont actuellement criants.

Il ajoutait ceci : Nous avons aussi besoin de l’immigration pour maintenir ou, mieux encore, augmenter la croissance du produit intérieur brutPIB potentiel à long terme tout en assurant la pérennité des finances publiques. C’est particulièrement le cas pour les gouvernements provinciaux, qui sont responsables de fournir des services de santé à une population qui vieillit rapidement.

Cependant, Desjardins reconnaissait que l’explosion démographique crée une forte pression sur le marché du logement. Il y a un équilibre à trouver, et il est difficile à atteindre, selon l’institution.

Le vieillissement de la population est au cœur de cette discussion, écrivait Desjardins, car il mine l’activité économique tout en gonflant les coûts des soins de santé. En effet, selon le dernier Rapport sur la viabilité financière du directeur parlementaire du budget, les dépenses provinciales en soins de santé par habitant devraient presque doubler entre 2020 et 2040 pour dépasser 10 000 $ par personne par année.

D’ailleurs, dans un rapport remis cette semaine à la commissaire à la santé et au bien-être du Québec, Joanne Castonguay, la toute nouvelle Chaire de recherche Jacques-Parizeau en politiques économiques de HEC Montréal affirme que la prise en charge des aînés à l’avenir va se détériorer et que les coûts vont exploser si les politiques gouvernementales ne changent pas.

Québec doit revoir ses priorités pour investir dans un véritable virage vers le maintien à domicile à court, moyen et long terme, selon ce rapport. Autrement, si on maintient le statu quo avec le système actuel, il faudra plus que doubler le nombre de places en Centre d’hébergement et de soins de longue duréeCHSLD et dans les maisons des aînés d’ici 2040. Nous sommes loin, à l’heure actuelle, du rythme nécessaire de création de telles places.

Les coûts vont plus que doubler, tout comme les besoins en effectifs dans le personnel infirmier, de soins et de soutien.

Dans une autre étude publiée en 2019, l’Institut du Québec écrivait qu’une hausse plus prononcée de l’immigration pourrait faire passer le ratio travailleurs-retraités de 2,1 à 2,3 en 2040. Autrement dit, au lieu d’avoir 2,1 personnes au travail par personne retraitée en 2040, il y en aurait 2,3. C’est une faible majoration qui montre que l’immigration peut avoir un certain effet mais que l’impact serait assurément modéré.

L’Institut précisait toutefois que l’exercice montre que la croissance du produit intérieur brutPIB réel par habitant serait plus faible dans les scénarios où le Québec accueillerait plus d’immigrants. Il faut toutefois interpréter ce type de résultat avec prudence, car restreindre le bassin de main-d’œuvre pourrait aussi avoir un impact négatif sur les investissements des entreprises à plus long terme, ce qui pourrait éventuellement réduire la qualité de vie de l’ensemble de la population.

La pénurie de main-d’œuvre et les salaires

Dans un livre publié au cours des derniers mois, l’ex-directrice de la planification au ministère de l’Immigration du Québec, Anne Michèle Meggs, exprime également des réserves au sujet de la solution de l’immigration pour combler le manque de travailleurs.

Elle cite un texte de l’ancien secrétaire du conseil exécutif du gouvernement de la Colombie-Britannique, Don Wright, publié sur le site du Public Policy Forum, qui affirme que lorsque les entreprises se plaignent d’avoir de la difficulté à trouver suffisamment de main-d’œuvre, ce que cela signifie vraiment, c’est qu’ils ne trouvent pas facilement les effectifs qu’ils veulent au salaire qu’ils veulent payer.

Dans les faits, la pénurie de main-d’œuvre, dit Anne Michèle Meggs, oblige les employeurs à mieux rémunérer leurs travailleurs, ce qui peut ensuite permettre d’accroître la productivité.

Les entreprises canadiennes ne vont pas innover si le gouvernement continue d’envoyer le signal qu’elles peuvent s’attendre à une augmentation des niveaux d’immigration lorsqu’elles ne trouvent pas les travailleuses et les travailleurs locaux aux salaires qu’elles veulent payer, écrit Don Wright, des propos cités par Anne Michèle Meggs.

Celle-ci ajoute ceci : Au Québec, on a les deux réflexes : baisser les volumes pour sauver la langue [française] ou hausser les volumes pour faire rouler des secteurs à bas salaire et à conditions difficiles. Ce n’est pas si simple.

En effet, ce n’est pas si simple, mais ce n’est quand même pas très loin de la vérité. Le salaire horaire moyen en 2022 au Québec s’établissait à 30,96 $, selon l’Institut de la statistique du Québec. Au deuxième trimestre de 2023, le salaire horaire moyen de plus de 80 % des postes vacants était plus faible que la moyenne dans l’ensemble du Québec.

Cela dit, l’idée de baisser les volumes d’immigration pour sauver la langue française est une idée discutable. Dans un ouvrage publié ces jours-ci, intitulé Le français en déclin? Repenser la francophonie québécoise, le chercheur Jean-Pierre Corbeil nous invite à mettre l’accent sur l’utilisation du français dans l’espace public et dans les milieux de travail plutôt que d’évaluer son évolution en fonction de la langue parlée à la maison.

Des données des recensements récents ont en effet montré qu’environ 80 % des travailleurs de langue maternelle tierce [qui n’est ni le français ni l’anglais] qui parlent une langue tierce le plus souvent à la maison et qui y parlent également le français régulièrement comme langue secondaire utilisent principalement le français au travail, soit précisément la même proportion que ceux qui parlent le français le plus souvent à la maison, énonce M. Corbeil à la page 55.

On dit souvent que l’évaluation des seuils d’immigration doit se faire en fonction de la capacité d’accueil de la société. Ce genre de concept est flou et il serait souhaitable que les décideurs et les experts se penchent sur une définition prévisible et compréhensible sur ce sujet. Les décisions quant au nombre d’immigrants qu’on accueille, que ceux-ci soient permanents ou temporaires, doivent s’appuyer sur des données fiables, solides et factuelles.

Gérald Fillion

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