L’artiste Billie Eilish est citée en exemple pour ses efforts visant à contrecarrer la flambée des prix en revente.
Exorbitant, fou : voilà la façon dont des admirateurs de Taylor Swift et des observateurs décrivent le coût des billets en revente pour ses spectacles à Toronto. On parle de 2000 $ et plus. Le marché de la revente est « incontrôlé » et « opaque », affirment des observateurs.
Pourquoi le prix des billets en revente pour Taylor Swift est-il, dans bien des cas, dix fois plus élevé que leur valeur nominale?
Est-ce la faute des sites de revente, des promoteurs, de Ticketmaster, des élus ou des artistes eux-mêmes? Nous avons posé la question à plusieurs observateurs.
Qui fixe le prix des billets et qui en profite?
Il y a deux marchés dans la vente des billets, soit le marché primaire, lorsque l’artiste met les billets en vente pour sa tournée, et le marché secondaire, celui de la revente.
Les artistes déterminent le prix de base des billets pour leurs spectacles, se défend, sur son site web, la multinationale Live Nation Entertainment, qui détient aussi Ticketmaster. La plateforme de vente de billets et l’amphithéâtre empochent habituellement les frais de service.
Généralement, le promoteur va garantir une certaine somme d’argent à l’artiste pour un concert. Ce dernier peut aussi obtenir une partie des recettes provenant de la vente des billets, selon le contrat négocié, explique Laura Simpson, PDG de Side Door, une plateforme de vente de billets pour salles de petite et moyenne tailles.
Même si Taylor Swift reçoit 80 % à 85 % des revenus, elle doit aussi payer pour l’énorme production
, que ce soit les musiciens, les danseurs, les machinistes ou autres, ajoute Kelly Ho, planificatrice financière pour la firme DLD.
L’artiste touche-t-il également sa part sur le marché secondaire? [Si la revente a lieu sur Ticketmaster], ça dépend de l’accord signé
, affirme Mme Simpson.
Pour ce qui est des autres plateformes comme StubHub, l’artiste n’est pas rémunéré si un fan décide d’y revendre ses billets. En revanche, les chanteurs et les promoteurs ont généralement des lots de billets qui leur sont réservés, et ils peuvent les offrir sur le marché secondaire, souligne Normand Turgeon, professeur honoraire en marketing à Hautes études commercialesHECMontréal.
C’est une industrie assez opaque.Une citation de Normand Turgeon, professeur honoraire en marketing, HEC Montréal
Sur une salle de 20 000 places, environ 10 % des billets sont réservés pour le grand public, affirme le professeur Turgeon. Les autres billets, explique-t-il, sont vendus par le biais de promotions pour des compagnies de carte de crédit et autre ou encore réservés pour le fan-club de l’artiste, notamment.
Le marché secondaire, lui, est dominé par des revendeurs professionnels, ajoute-t-il. Il estime que seulement 5 % à 10 % des sièges affichés en revente actuellement sur StubHub, par exemple, pour voir Taylor Swift à Toronto appartiennent à des gens ordinaires qui ne peuvent plus assister au concert et veulent se départir de leur billet.
C’est sans parler de la tarification dynamique (des prix qui fluctuent selon l’offre et la demande), employée par les sites de revente, note le professeur Turgeon.
Des fans pris au piège?
Si un fan n’a pas la chance de mettre la main sur un billet en prévente, il peut se tourner vers le marché de la revente, mais les prix peuvent y être très élevés.
Mme Simpson aimerait voir plus de transparence
dans l’industrie.
Qui protège les fans de nos jours? C’est une grande question.Une citation de Laura Simpson, PDG, Side Door
Elle apporte toutefois des bémols. Je ne veux pas défendre Ticketmaster, mais la demande pour Taylor Swift est telle qu’il faut créer des logiciels pour gérer ça, sans parler des menaces [informatiques] et des arnaques
, dit-elle. Évidemment, cela nécessite des investissements.
Elle souligne aussi que le coût des tournées a triplé
depuis la pandémie, et que les artistes ne peuvent plus compter sur la vente d’albums pour gagner leur vie.
Monter un spectacle à haut déploiement comme celui de Taylor Swift coûte des millions
de dollars, renchérit le professeur Turgeon.
Le marché de la revente est certainement une industrie profitable
, affirme le professeur Turgeon. Mais n’oublions pas, dit-il, qu’il y a aussi des risques
financiers pour les revendeurs professionnels.
Il va y avoir des billets qui vont être non vendus
, note-t-il. En d’autres mots, certains concerts vont rapporter beaucoup d’argent aux revendeurs, d’autres pas.
Certains revendeurs font, toutefois, beaucoup d’argent
, selon Mme Ho, qui cite l’exemple d’un billet pour Taylor Swift dont la valeur nominale est de 500 $ et qui est revendu pour 4000 $.
Taylor Swift vs Billie Eilish
Dans le cas des concerts de Taylor Swift à Toronto, Ticketmastern’offrait pas de billets en revente. Par ailleurs, la plateforme avait bloqué l’échange de billets jusqu’à 72 h avant les spectacles , à la suite de cas de fraude.
Des centaines de billets se sont tout de même retrouvés sur des sites de revente, à prix élevé.
Le marché de la revente est devenu incontrôlé
, affirme Stephen Parker, directeur général du regroupement américain de salles indépendantes National Independent Venue Association (NIVA). Il fait partie du mouvement Fix the Tix visant à resserrer la réglementation aux États-Unis.
Les revendeurs achètent des billets, en utilisant la technologie, même si les [logiciels-robots] sont interdits aux États-Unis [et en Ontario], pour les revendre à des prix exorbitants.Une citation de Stephen Parker, directeur général, NIVA
Il montre du doigt des sites de revente comme StubHub et Vivid Seats,qui habilitent
, selon lui, les revendeurs professionnels et leurs logiciels-robots, appelés bots en anglais, et qui ont des lobbyistes à Washington pour se défendre.
M. Parker salue des artistes comme Billie Eilish, qui a choisi de bloquer les échanges de billets pour sa tournée actuelle, sauf à prix coûtant, sur Ticketmaster.
C’est une force puissante pour le changement lorsque des artistes sont prêts à s’exprimer sur la question. Nous apprécierions le soutien de Taylor Swift si elle se sent à l’aise de le faire.Une citation de Stephen Parker, directeur général, NIVA
AEG, le promoteur de Taylor Swift, n’a pas répondu à notre demande de commentaire.
Notons que des billets pour les concerts de Billie Eilish, entre autres à Vancouver en décembre, sont affichés actuellement sur le site StubHub.
La compagnie s’explique ainsi par courriel : Nous respectons le droit de l’artiste de décider comment ils veulent vendre leurs billets, mais nous croyons que les consommateurs ne devraient pas être forcés d’acheter leur billet d’un seul vendeur primaire ou d’être restreints dans ce qu’ils veulent faire d’un billet acheté légitimement.
C’est exactement le type de comportement anticoncurrentiel évoqué dans une plainte contre Live Nation-Ticketmaster sur lequel le département [américain] de la Justice enquête
, renchérit StubHub, qui ajoute que ses clients sont toujours remboursés si le billet acheté n’est pas valide.
M. Parker accuse, lui, StubHub de ne pas vérifier à l’avance si un revendeur a bel et bien en sa possession un billet qu’il met en vente sur la plateforme, citant l’exemple de billets pour la tournée d’Oasis affichés sur le site avant même la prévente. StubHub rétorque que les commanditaires, notamment, ont des billets avant la prévente.
Un plafond sur les prix?
Pour M. Parker, la véritable solution serait d’imposer un plafond sur les prix en revente.
Il admet du même souffle que son association, National Independent Venue AssociationNIVA, ne propose pas une telle mesure au niveau national aux États-Unis, parce que ce ne serait pas possible politiquement
.
Les sites de revente de billets se sont opposés à un plafond par le passé, affirmant que les consommateurs seraient moins bien protégés contre le risque de fraude, parce que les revendeurs se tourneraient vers des plateformes comme Kijiji ou Facebook Marketplace.
En Ontario, le précédent gouvernement libéral voulait limiter à 150 % de la valeur nominale le prix d’un billet en revente. Mais le gouvernement de Doug Ford a annulé ce projet de plafond après avoir pris le pouvoir en 2018, soutenant, entre autres, que la mesure serait impossible à faire respecter.
D’autres experts ont suggéré des billets nominatifs, avec possibilité d’échange avec un autre fan seulement à prix coûtant. Toutefois, ce système serait plus onéreux, notamment pour la vérification de l’identité des amateurs à l’entrée des stades.
La demande sans précédent pour les billets de Taylor Swift constitue une anomalie
dans le marché, souligne Mme Ho. Pour certains spectacles et événements sportifs, des fans peuvent même payer moins cher pour leur billet en revente que sa valeur nominale.
Tout comme M. Parker, elle pense toutefois que la multinationale Ticketmaster-Live Nation devrait être scindée.
Il s’agit d’un quasi-monopole
, dit le professeur Turgeon, qui souligne que la mégacompagnie détient des intérêts dans plus de 300 salles de spectacles, en plus de s’occuper de la promotion et de la vente de billets.
Le Centre Rogers de Toronto appartient à Rogers. Mais Live Nation est en train de construire, en partenariat avec Rogers, un nouvel amphithéâtre extérieur à Toronto, appelé stade Rogers , qui accueillera, notamment, les groupes Oasis et Coldplay l’été prochain .
Live Nation et Vivid Seats n’ont pas répondu à nos demandes de commentaire.
Michel Bolduc